Il distribuait les conférences comme l'on jette les miettes de pain aux oiseaux...Ils enchaînait les conférences comme l'on enchaîne des petits- pains ou des bierres. Il était l'invité de marque de toutes les chaînes de télévision. Il se plaisait à parler de ses romans, de son inspiration féconde, de sa plume presque magique qui ne tarissait jamais, de ses complexes d'enfance, de son amour pour les lettres qu'il avait découvert dès l'âge de trois ans, de son père ivrogne et volage qui le battait, et de sa mère, portrait craché d'un ange qui assumait...et qui élevait son fils chéri comme il se devait malgré les coups de tête du père...Bref, le décor classique, le prototype classique, l'histoire classique d'un romancier.
Lors de "ses" émissions télévisées--d'ailleurs, il disait: "mon" émission télévisée comme s'il en était le sponsor, ou l'animateur-- il s'interrompait soudain et demeurait quelques secondes attentif, peut- être à l'écoute de sons que, à part son oreille, l'oreille humaine ne pouvait capter ou à l'écoute d'une muse qui lui dictait ce qu'il devait dire ou peut-être même à un esprit, à un génie de l'air, à un elfe, à un lutin qui lui chuchotait à l'oreille des citations...car quelques secondes plus tard, le romancier esquissait un sourire comme s'il trouvait plaisante la citation de son lutin puis il prenait un air sérieux et semblait se réveiller d'un drôle d'hypnose. Quelques fois, en répondant aux questions des critiques ou des journalistes, le romancier s'interrompait, prenait le temps d'ouvrir son paquet de cigarettes, en sortait une et puis...enclenchait tout un rituel pour la prendre entre ses doigts, l'allumer...et ce, dans un silence religieux de son auditoire qui retenait son souffle en le voyant"procéder" ainsi. On aurait dit qu'il désamorçait une bombe, à l'entrée d'une école. Ensuite, il lançait aux visage de l'assistance la première, puis la deuxième...bouffée de tabac, de manière méthodique, presque mathématique, à la manière d'un Cherlok Holmes ou d'un Lucky Luck, en prenant soin à ce que tout le monde, dans la salle, ait sa part de nicotine.
Et les gens en raffollaient de plus en plus. Ils l'écoutaient religieusement en intimant l'ordre de se taire à celui qui voulait placer un mot, ou à celui qui murmurait quelque chose ou qui déplaçait sa chaise...voire à un ashmatique qui respirait plus bruyamment que les autres...Bref, si notre romancier avait pensé ouvrir une chapelle ou lancer une nouvelle religion il aurait trouvé assurément des adeptes...et quels adeptes!! Des journalistes, des critiques, des hommes et femmes de lettres, des étudiants en doctorat...et j'en passe. Il était l'idôle, la star, le dieu de plusieurs personnes qui, lorsque le romancier écrasait le mégot de sa cigarette dans le cendrier, pensaient toujours récupérer ce mégot--souvenir de leur romancier préféré-- et le rallumer plus tard, dans un café de quartier pour disserter sur un sujet littéraire devant une poignée de badauts. Ils pensaient que cette marque de cigarettes était pour quelque chose dans le foisonnement littéraire du romancier. Aussi l'achetaient-ils. Par ailleurs, ils aimaient avoir quelque chose de cet homme dans leurs bouches. Les hommes se contenteraient des bouts de cigarettes du romancier et les femmes fantasmaient sur autre chose qu'ils aimeraient avoir dans leurs bouches, quelque chose qui appartenait plus ...étroitement au romancier.
Ainsi, il enchaînait best-seller sur un autre, des succès à répétition. Il mitraillait le public par ses romans...passionnants. Les gens l'attendaient partout, l'importunaient, l'adulaient, l'adoraient, le vénéraient, s'attroupaient autour de lui, demandaient des autographes, le priaient de se faire prendre en photos avec lui....Il a dû mettre des lunettes de soleil, une barbiche pour se déguiser et plus tard s'entourer de gardes de corps jusqu'au jour où...
Ce jour- là, un journaliste débutant avait décidé de ne pas chanter la même chanson officielle que ses confrères chantaient en choeur et qui louait " la plume" du romancier--une chanson pareille à celle chantée par les gens primitifs en hommage à un dieu invisible, pour s'assurer d'avoir de bonnes récoltes ou pour exorciser sa colère--bref, ce journaliste entama une enquête, en solitaire et en secret et des mois plus tard, il découvrit le pot aux roses. Ainsi, il se présenta à une chaîne de télévision avec un dossier complet qui fit la disgrâce du romancier et l'expulsa du paradis.
Ce journaliste avait prouvé que le romancier achetait ses écrits pour les revendre. Il rencontrait, dans des ruelles sombres, un homme d'un certain âge et vivant dans le besoin qui l'"approvisionnait" en...romans. En échange de quoi, le romancier payait. Equation simple s'il n' y avait pas quelque chose de répréhensible qui s'appelle le plagiat. Et voilà, les mêmes studios et émissions télévisées montraient leur interêt pour ce sombre personnage, auteur de romans qu'il vendait au pseudo-romancier.
Les journalistes accoururent au domicile de cet auteur. Ils l'ont repéré, après des jours de planque et lui ont presque sauté dessus, à la manière des agents de la gestapo. L'homme rentrait, les bras chargé de nouritture, de couches pour bébés, de vêtements... Ils l'ont assailli de questions. Lui, il manifestait une gêne apparente. Il cherchait ses mots, bégayait, ne savait que dire, s'excusait.....Les journalistes l'ont aussitôt "libéré" pour aller chercher d'autres célébrités. Ils ont compris que cet homme était un auteur, un vrai, donc inutile de lui arracher des confessions: il ne ferait pas de métaphores filées!
A Tetouan, Septembre 2009.