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  • "Penser, c'est dire "non"": Alain.
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24 septembre 2009 4 24 /09 /septembre /2009 22:38

       On n'osait pas lui adresser la parole si l'on usait pas de cette particule de noblesse: "monsieur". Et si vous vouliez qu'il vous permettait de parler, vous deviez ajouter: "professeur" (surtout ne dites pas "prof" car ce serait grossier). Donc,"monsieur" et "professeur" étaient  les deux codes requises pour qu'il daignât vous regarder. Pour ce qui est de vous parler...c'est une autre histoire...il fallait que vous disposiez d'autres mots de code. Mais surtout, vous deviez d'abord trouver le code pour qui'il vous ECOUTAT. Ainsi, notre cher professeur fonctionnait de la sorte...par codes, tel l'ordinateur d'une banque d'Etat. Le problème, c'est que tout en lui était codé: ses fiches de cours bonne occasion---qui remontaient, à l'occasion, aux années 1980( absence de formation continue oblige)--, sa mentalité--qui n'a jamais été "mise à jour" depuis sa naissance et ses connaissances, si toutefois, il en disposait--qui n'ont jamais été "actualisées" depuis sa licence ès lettres, une licence de "seconde main" qu'il a "décroché" après deux tentatives ratées--enfin c'est la licence qui en a eu marre d'être écorchée à trois reprises et a fini par lui céder, telle une femme qui aide son violeur qui s'y prend mal, à faire vite plutôt qu'à...la charcuter-- une licence qui sentait le moisi et dont il gardait le diplôme accroché au mur de sa chambre, un diplôme qui ressemblait plutôt à une oeuvre d'art: il était écrit à la main, puisque les dactylos n'existaient pas encore!
       Khalid était le prototye du "bon professeur"--au passage, khalid veut dire en arabe" éternel", c'est ce qu'on appelle en linguistique: le signifiant qui colle au signifié--. Il était toujours à l'heure, partait à l'heure et n'était jamais absent. Trois critères de notation très prisés par les inspecteurs. Ah, j'allais oublier, il portait toujours un costume assorti d'une cravate--criètre très estimé par les proviseurs-- klaxonnait toujours à son entrée au lycée--critère apprécié par les élèves, surtout la gente déminine-- roulait une cigarette dès son entrée en classe---c'était un signe de maturité et d'autorité-- et envoyait son cartable atterrir sur le burau, dès son entrée à la salle, d'un geste négligent, voire autoritaire comme l'on jette loin de soi un enfant que l'on refuse de reconnaître.
       Ensuite, il lançait un regard circulaire à toute la classe pour repérer les absents...Un regard inquisiteur, puis regardait chaque élève droit dans les yeux, à la manière d'un inspecteur de police qui vous exhorte de tout confesser, pendant quelques secondes.Multipliez "ces quelques secondes" par cinquante élèves et soustrayez le tout d'une heure. Puis il commençait "l'appel" et s'arrêtait devant le nom de chaque apprenant tout en le regardant, le toisant, le jaugeant comme s'il était dans un marché d'esclaves. Toutefois, quand c'était le nom d'une fille qu'il prononçait, il devenait radieux, dragueur, faussement paternel...et quelques fois excité. Cet" appel" durait quinze minute au minimum, il ne restait donc pour le cours proprement dit--s'il en existait-- qu'une trentaite de minutes.
     Il commençait par ouvrir son cartable, en prenant beaucoup de précautions, comme s'il allait désamorcer une bombe. Une malette qui ressemblait à celle des sages-femmes de l'époque qui se déplaçaient chez les futures mamans...et ce cartable accouchait...de "connaissances": des fiches, des livres, des manuscrits..bref, un musée ambulant, une bibliothèque nationale(il était tellement lorud ce cartable qu'il le mettait dans le coffre de sa voiture et jamais sur le siège avant ni arrière)
       Et le cours commençait. Un cours magisttral, un cours à sens unique et gare à l'élève qui osait poser des questions--c'était un délit majeur-- ou qui se hasardait à interrompre, monsieur--c'était un crime--.Bref, le cours allait bon train et monsieur prenait toujours la précaution de le finir une dizaine de minutes avant l'heure pour ...faire le bilan.
     " Faire le bilan" était ceci: monsieur cirulait entre les rangs pour détecter ceux qui n'avaient pas leurs affaires ou avait des affaires qui manquainet, ou étaient mal présentables, ou avaient un regard...coupable. Du coup, tous les élèves s'efforçaient à afficher la même attitude, à répondre au même" profil": le seul et unique profil produit et toléré par les ateliers du régime. Pendant ce "bilan", cette "mise au point", cette "inspection à la douane", monsieur n'hésitait pas à prodiguer des sourires affectueux aux belles filles et à les regarder à loisir en s'attardant sur des zones...attractives de leurs corps d'adolescentes...
      Cependant, ce qui intriguait ses élèves, les deux sexes confondus cette fois-ci, c'était son cartable. On craignait ce cartable et on le vénérait, une attitude que les peuples primitifs adoptent en face des dieux et des oracles. N'était-ce pas ce cartable qui leur prodiguait "le savoir"? N'était-ce pas de ce cartable que sortaient les perles et les joyaux de la "Connaissance" comme s'ils sortaient de la bouche de la bonne fille des fables? N'était-ce pas en raison de l'"importance" de ce cartable que le professeur la maniait délicatement en l'ouvrant, comme l'on caresse une femme avant d'entamer une pénétration, comme l'on ouvre un coffre-fort ou une boîte de souvenirs ou de reliques hautement symbolique? Bref, ce cartable était devenu, pour ces élèves, une équation mathématique à résoudre, une intrigue policière à démêler voire un mythe à comprendre jusqu'au jour où...
         Ce jour- là, à huit heures piles, le professeur garait sa voiture-- si l'on pouvait l'appler ainsi car l'on ne pouvait lui attribuer aucune marque...encore moins de modèle-- en face du lycée. Il ouvrit son coffre pour prendre son cartable, mais il paraît que celui-ci était mal fermé. Par conséquent, et la précipitation du professeur aidant, ce cartable a déversé tout son contenu sur le trottoir, en face du lycée, devant tous les élèves. Ainsi, tout le monde a coupé son souffle. Tout le monde voulait connaître "les secrets des dieux" que ce cartable renfermait et qui faisaient l'autorité de son détenteur, leur professeur. Mais le choc était ...énorme!
          Ce cartable a vomi ses entrailles, pareille à un apprenti alcoolique qui vomi son estomac à la sortie d'un bar. Ce qui était choquant c'était le contenu de ce maudit cartable: des revues pornographiques, des perruques, un pyjama, des paquets de cigarettes de contrebande et ...des dessous féminins...!
          Depuis ce jour-là, on n'a jamais revu le professeur mais on ne l'a jamais oublié non plus.
          Les autres professeurs se sont séparés illico de leurs cartables comme l'on se sépare d'un sac suspect à l'approche d'un contrôle de la douane. Ils enseignaient donc sans cartables. Du coup, ils ont perdu leur latin...et leur pouvoir!

A Tetouan, 2007.

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commentaires

T
<br /> Bonjour,<br /> encore une fois je rattache cette nouvelle à un conte populaire et je trouve que ton écriture en a les mêmes qualités puisque l'objet magique est l'un des éléments indispensble à tout conte comme<br /> cela a été étudié par les spécialistes qui se sont penchés sur la question,<br /> le conte auquel je pense est celui du "Costume neuf de l'Empereur" d'Andersen, dont la morale est que tout nu cet empereur n'est plus rien alors qu'il n'avait assis son pouvoir que sur ses <br /> beaux vêtements, son sceptre et sa couronne,<br /> dans un autre registre demandons nous à quoi tient le pouvoir de nombreux autres "oppresseurs"? mais aussi quel est le sens des porte-bonheur, grigris et autres talismans?<br /> c'est toujours un plaisir de te lire car cela amène à réfléchir sur de nombreuses valeurs, merci pour ta participation à la communauté<br /> <br /> <br />
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A
<br /> Rebonjour Nicole. C'est à moi de te remercier de m'avoir lu. Je ne connaissais pas l'histoire de ton conte mais tu as bien fait de m'éclairer là-dessus. J'espère que toi et moi reseterons<br /> toujours en contact. Ceci dit et comme tu le sais, je suis moi aussi enseignant mais pas un "ex cathedra". J'ai eu par contre des enseignants au primaire, collège et lycée voire à la fac et même à<br /> ma préparation à l'Agrégation de Français, ici au Maroc, de ce type. C'étaient des profs monsieurs-qui-savent-tout...Finalement, avec le temps  et avec le recul, j'ai appris qu'ils ne<br /> savaient rien du tout...à part l'art de terroriser ou de mentir à leurs élèves...ils devainet être policiers ou ploliticiens...( d'ailleurs ce deux derniers métiers ont le même radical) mais je<br /> doute qu'une "cité" qui se respecte veut de ce genre de personnes. Amitiés!<br /> <br /> <br />